Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le pays imaginaire de Defy
15 novembre 2005

Chapitre 1 - La nacre

Miri a 16 ans et fait le malheur de sa famille. Elle veut devenir pêcheur de perles à Manihi dans son île des Tuamotu. C’est une profession très répandue sur son atoll, sauf que ce métier est exclusivement réservé aux hommes. Miri a choisi d’être différente. Elle a toujours su qu’elle appartenait à la mer. Les Pomotu sont des pêcheurs, pas comme ces Marquisiens qui passent leur temps à racler la terre et à courir dans les montagnes après les cochons sauvages ! Elle ne voit pas pourquoi, puisque les mahu ont le droit de se comporter en femme, elle n’aurait pas le droit d’exercer une profession d’homme. Ça fait honte à la famille, bien sûr, et chaque jour sa mère lui répète qu’elle ne trouvera jamais de tãné pour la prendre dans son faré si elle continue comme ça. Miri s’en moque bien. Rester au faré à préparer le mã’a, cuisiner le uru et élever les enfants, Miri, ça ne la fait pas rêver. manihi manihi_bis Miri est une forte tête, elle a de qui tenir. Les femmes de sa famille étaient des arii depuis des générations avant l’arrivée des Français. Elles étaient respectées, écoutées et obéies. La plupart des motus de Manihi appartiennent encore à sa famille, même si les popaas et leurs prêtres sont parvenus à s’approprier une partie de la terre. parata2Les hommes n’ont jamais accepté Miri parmi eux. Une vahiné à la pêche aux perles, c’est tapu. Ça porte malheur. Le lagon lui est interdit et l’accès aux perles de cultures aussi. Ils l’ont autorisé à aller pêcher côté récif pensant la décourager. C’est beaucoup plus dangereux. Les grands blancs, les requins citron et les tigres chassent là-dehors. Mais elle a une alliance particulière avec l’océan. Elle est née sous le totem du requin parata, craint de tous. Souvent, elle nage côté récif le long des passes. Les fauves la frôlent, mais aucun n’a jamais fait mine de l’attaquer. Elle est comme marquée, protégée. Miri rêve du jour où elle trouvera la perle parfaite. Celle qui lui apportera la respectabilité auprès des hommes qui la moquent au village. passe1Aujourd’hui, Miri explore le plongeant au nord-est de l’île. Son frêre Hiro l’attend dans le vaa. Il n’a pas 12 ans, mais est déjà un excellent piroguier. Et puis, il adore sa sœur et ferait n’importe quoi pour elle, y compris braver les interdits en l’aidant à aller aussi loin de la passe en vaa. À l’émeraude et au turquoise du lagon ont succédé l’outremer du Pacifique. Eaux profondes beaucoup plus inquiétantes. Hiro doit maintenir la pirogue à distance du récif rouge sur lequel se brise la longue houle du Pacifique mais s’approcher suffisament pour que sa sœur accède au tombant en apnée. Miri s’enduit de monoï avant de plonger. L’huile lui permet de mieux glisser dans l’eau et la protège du froid des profondeurs. Elle natte son épaisse chevelure que seul l’huile de copra parviens à apprivoiser et glisse son corps pain d’épice dans l’eau bleue. Elle descend le long du tombant, croise une murène cachée dans son trou de corail, des poissons flûtes, un couple de poissons anges, des perroquets qui se sauvent en l’apercevant. Au fur et à mesure de sa progression, le corail change de forme et de couleur. Elle repère sur sa droite une magnifique porcelaine, mais elle n’est pas venue chercher ça. Ses tympans commencent à la faire souffrir et elle décompresse avec facilité en déglutissant. Autour de sa taille, sa ceinture de plomb l’attire vers les profondeurs. Elle distingue dans le bleu de plus en plus sombre les ombres des grands fauves. Ils se tiennent à l’écart. benitierSoudain, entre deux agrégats coralliens, se révèle à elle un gigantesque bénitier. Il doit bien avoir une envergure de deux mètres et abrite une nacre au fond de sa mâchoire. C’est du jamais vu, et c’est bien ce qui pousse Miri à s’en approcher. Elle sait qu’elle va devoir ruser pour s’en emparer. Le bénitier est un piège mortel pour celui qui a le malheur d’y laisser traîner ses doigts. Le coquillage a tôt fait de se refermer sur le bras de l’imprudent, qui prisonnier et incapable de se dégager meurt asphyxié en quelques minutes. Si Miri se sert du coutelas qu’elle porte en permanence à la cheville pour bloquer la mâchoire du bénitier, elle risque de le perdre. Sans compter qu’elle n’est pas sûre que son arme résiste à la pression. Elle hésite. La nacre est belle, mais elle peut aussi bien être vide. Sur une impulsion, Miri passe à l’action. Elle glisse son arme entre les lèvres irisées du bénitier qui se referme dans un mouvement réflexe. L’acier a tenu bon. Miri ne peut pas s’offrir le luxe d’hésiter ou d’atermoyer. Elle glisse son bras entre les mâchoires. La nacre s’est niché au plus profond du coquillage. Miri, en s’étirant, arrive à l’effleurer. Elle se repositionne, s’enfonçant plus profond dans la gorge mordorée du bénitier. La nacre est là, elle la sent. La jeune fille étend encore ses doigts, tous son corps tendu vers le fruit de ses désirs. Elle s’en saisit. La voilà enfin, elle la tiens. Ne voulant pas laisser échapper sa proie, elle assure sa prise avant de reculer précipitamment. Elle a tout juste le temps de se dégager avant que la lame de son couteau ne cède et que le bénitier ne se referme avec violence. À une demi-seconde près, c’était la mort. Mais Miri est bien loin d’être sortie d’affaire et elle en a bien conscience. La nacre doit bien peser 7 kilos, elle est à 20 mètres de profondeur et a trop tardé. Son temps d’apnée est bientôt épuisé alors qu’il lui reste toute la remonté à faire… ses muscles vont avoir besoin d’un oxygène dont elle ne dispose plus.

Manihi, 14° 26' 15" S - 146° 04' 15" W

chapitre suivantglossaire
Publicité
Commentaires
E
Argh !<br /> <br /> J'espère que ce n'est pas la fin de l'histoire : ce serait trop triste ...<br /> <br /> Sinon, il faut nous donner la suite, ça commence trop bien.
B
... c'est mieux que thalassa!!!
Le pays imaginaire de Defy
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité