7 mai 2004 : Se palucher en toute intimité
Nous sommes partis pour les Galápagos depuis 3 jours. J’ai vu hier mon premier lever de soleil en mer. Dans la journée du 5, nous avons croisé toute une troupe de dauphins. Ils sont venus jouer dans l’étrave. Cabotins, ils ont particulièrement goûté mes manifestations enthousiastes, arrondissant leur dos, se tournant de côté pour voir à quoi ressemblait la folle qui faisait tout ce bruit. Ils sont plutôt longs et fins, et arborent la robe grise des dauphins antillais, mais ils sont pailletés de blanc sur les flancs.
Un peu plus tard, nous croisons un couple de cétacés, probablement des baleines à bosses. Elles sont loin. Nous ne voyons que leur souffle et leur aileron. Impossible de les identifier formellement.
Je suis contente de prendre la mer, même si les pilot charts nous annoncent du vent debout jusqu’au Galápagos. À cette latitude, nous sommes en plein dans la ZCI (Zone de Convergence Intertropicale), donc vents orientés plutôt sud-ouest. Ça tombe bien, le Cap Vrai, c’est du 240. Bon, là, rien à regretter, on est pétolisé. Donc, vroum-vroum le bateau à voile (blague à deux balles de marin dérivée de paf le chient) !
Patrick est un gros con. Voilà, c’est dit. Le temps ne fait rien à l’affaire. Quand on est con, on est con…. Je l’ai pourtant soutenu auprès de Michel ces temps derniers, mais là, j’en peux plus. Ce type est un vrai kapo ! Il a besoin d’être valorisé en permanence par le chef. Hier matin, avant de prendre la route, on s’est fait un entraînement aux manœuvres. Et Patrick n’a pas été très réactif. On comprendra par la suite qu’il n’est jamais monté sur un voilier. Il était électricien dans la marine marchande et sa seule expérience de voileux, c’est une sortie en vieux gréement… Donc, confronté à son mensonge et à son incompétence, il a réagi comme tous les capos par une explosion agressive et haineuse, hurlant qu’il préférait être débarqué de suite à Panamá City puisqu’on le considérait comme un mauvais équipier.
Moi, sur le coup, je m’étais dit : « bien fait pour Michel, il n’avait qu’à être plus pédagogue ! ». Et bien aujourd’hui, je regrette.
Figurez-vous que le frigo est tombé en panne et que le petit roquet a repris de l’assurance en un temps record, armé de son tournevis. Sur le moment, je me suis dit : « super, tout s’arrange… » Et bien aujourd’hui je regrette !
Je regrette parce que ça fait deux jours et deux nuits qu’on est au moteur. Et Michel et moi, on dort à l’arrière, lui sur bâbord, moi sur tribord. Entre nos deux cabines est logé le moteur, sous la descente. Et on ne dort plus avec le bruit du bouzin. Or Patrick occupe la cabine avant, et il a refusé tout net que moi ou Michel allions dormir là-bas même pendant son quart, sous prétexte que c’était une atteinte à son intimité. Gros con, il y a pas de chambre individuelle sur un bateau. On a toujours utilisé la règle de la couchette chaude par mauvais temps, laissant les équipiers prendre du repos à tour de rôle dans la bannette la plus confortable.
Quel imbécile ! Outre le fait qu’il se prive de l’occasion unique qui lui était donnée de passer une nuit avec Angel Skin (et croyez-moi, ce surnom, je le mérite), il vient de démontrer qu’il ne comprend rien à la solidarité des gens de mer. Dormir, sur un bateau, c’est confier sa vie et sa sécurité à l’homme de quart. Si l’homme de quart est épuisé, c’est un problème. Mais ça peut vite devenir ton problème !
Michel et moi nous relayons dans le carré. Quand je suis trop en colère, j’imagine le troll en train de se palucher en toute intimité dans sa bannette.
Jours sans clopes = 3 (meurtres = 0, un miracle)